« Tu vas voir le Pite  ? » C’est la question qu’un confrère journaliste m’a posé lors d’un voyage de presse à la rentrée. La deuxième création de Crystal Pite pour le Ballet de l’Opéra de Paris, intitulée Body and Soul, était l’un des événements attendus de l’automne et de la saison 19-20 du ballet. Il faut dire que la chorégraphe canadienne, invitée par Benjamin Millepied, avait fait une entrée au répertoire fracassante il y a trois ans avec le spectaculaire The Seasons’Canon sur le Remix des quatre saisons de Vivaldi par Max Richter. Une création encensée par le public et la presse. L’Opéra a cette fois-ci décidé de lui dédier une soirée complète. Avec Body and Soul, la chorégraphe s’attaque ainsi à un format plus long avec un ballet découpé en trois actes.

Le rideau s’ouvre sur les danseurs François Alu (debout) et Aurélien Houette (au sol), éclairés par un plafonnier. Une mise en scène presque minimaliste qui donne l’impression d’un huis clos. Sur la bande son, la voix off de Marina Hands commente les mouvements de « figure 1 » et « figure 2 » : « tête, cou, regarde, combat… ». Les huit scènes s’enchaînent avec en fond la voix de l’actrice, comme un duo entre le langage et le corps. Ce qui donne un côté presque hypnotique à la pièce, tandis que les costumes neutres et uniformes (pantalon noir/chemise/haut blancs) effacent les individualités, mettant de côté la hiérarchie en place, au profit de l’unité du groupe.

L’une des forces de Crystal Site est la gestion des ensembles. La chorégraphe a une habilité à répartir dans l’espace les 42 danseurs du ballet, à faire bouger, s’emmêler et se démêler les corps. Elle parvient à donner ces effets de scène qui portent sa signature et qui ont fait le succès de The Seasons’Canon en 2016. L’effet de vague au premier acte est réussi et réaliste, tout comme la scène de l’émeute est poignante. Les groupes se font et se défont pour laisser place à des duos. Celui formé par Marion Barbeau et Simon Le Borgne est l’un des plus tendres et touchants de ce premier acte. La deuxième partie du ballet, en particulier, est une succession de pas de deux, au son des préludes de Chopin, si souvent revisités dans les ballets. Certains attirent plus l’attention que d’autres, à l’instar de celui réunissant Adrien Couvez et Éléonore Guérineau, qui malgré les costumes uniformes parvient toujours à sortir du lot. Ou encore le pas de deux aérien entre Ludmila Pagliero et François Alu. Les yeux s’attardent aussi sur le puissant Hugo Marchand, meneur de groupe. La chorégraphe offre aussi une belle occasion à Antonin Monié de s’exprimer en scène. L’oeil s’attarde aussi sur Muriel Zusperreguy et Alessio Carbone, qui feront leurs adieux à la scène le 23 octobre prochain : elle s’émouvant face au corps étendu et sans vie du danseur après une scène d’émeute.

Un troisième acte déjanté

La fin de ce deuxième acte aurait pu facilement clôturer le ballet. Mais qui dit version longue, dit troisième acte. Changement de décor et de ton pour cette troisième partie! L’entrée en scène de ces fourmis/araignées dans une forêt dorée et clinquante, accompagnées d’une bande son inquiétante, évoqueraient presque les créatures monstrueuses de la série Stranger Things sur Netlifx. L’arrivée de cette créature animale recouverte de longs poils gris, incarnée par un Takeru Coste, étonne. Et le final sur Body and Soul de Teddy Geiger avec un Takeru Coste et son pantalon doré complètement déchaîné, et autour de lui les créatures araignées à l’unisson, nous emmène dans une ambiance électrique de salle de concert. Une seule question : « Pourquoi? ». Le propos de la chorégraphe semble diffus (deux actes n’auraient-ils pas été suffisants ?). Une chose est sûre, les danseurs sont superbes et s’éclatent en scène.