Dorothée Gilbert s’était jusque-là refusée de danser le rôle-titre du Lac des Cygnes. Ce dimanche 17 février, l’Etoile féminine, considérée comme la danseuse Étoile de l’Opéra, effectuait sa prise de rôle en Odette/Odile. Un rôle dans lequel elle était plus qu’attendue. Elle retrouvait pour l’occasion Hugo Marchand, actuellement son partenaire de prédilection à l’Opéra, qui dansait également Siegfried pour la première fois. Des retrouvailles enthousiasmantes sur le papier et qui n’ont pas déçues : le couple principal a mis la barre très haut offrant de beaux moments d’émotions. À leurs côtés, le jeune Thomas Docquir s’emparait du double rôle de précepteur et de Rothbart.

Il y a des signes annonciateurs d’une bonne soirée de ballet. C’est ce qui s’est produit lorsque le rideau s’est levé dimanche après-midi sur le prince endormi d’Hugo Marchand et sur la princesse de Dorothée Gilbert, qui, attaquée par le sorcier Rothbart se métamorphose en cygne blanc. Dans les scènes de cour, Hugo Marchand incarne ce prince mélancolique, torturé et perdu dans ses pensées. Ce premier acte est aussi l’occasion de retrouver dans le pas de trois l’élégance de Fanny Gorse et Jérémy Loup-Quer en grande forme.  Un peu tendu au départ, Hugo Marchand s’est progressivement libéré, livrant une belle variation lente tout en faisant ressortir le caractère torturé de Siegfried.

À ses côtés, Thomas Docquir, actuellement Coryphée, paraît encore un peu vert dans le rôle du précepteur. Ce qui n’est pas une grande surpris, car il faut exister face à un danseur aussi charismatique et présent qu’Hugo Marchand. De fait, le rapport de force entre le prince et son précepteur qui fait la particularité de la relecture de Noureev, transparaît moins ici. C’est le cas notamment dans le duo précédant l’arrivée du cygne blanc.

Dès son arrivée en cygne blanc, Dorothée Gilbert donne le ton. La ballerine met une fois de plus sa technique brillante au service d’une interprétation profonde et réfléchie. On ne peut être qu’admiratif devant son travail de bras, qui se meuvent telles les ailes du cygne. Chaque geste, chaque regard ont un sens, ce qui rend lisible les intentions du cygne blanc. Dorothée Gilbert est d’une grande précision, jouant sur les équilibres, les ralentis, engageant son dos et ses bras. Son Odette est touchante et émouvante. Hugo Marchand impressionne aussi par sa maîtrise technique. Le pas de deux est un moment tout en suspension.  Les deux Étoiles sont bien soutenues par le corps de ballet. Car les trente-deux cygnes contribuent grandement à la réussite de ce beau tableau. Mention spéciale aux quatre petits cygnes ont d’ailleurs rencontré un beau succès.

Quand Rothbart met fin à ce moment de douceur, on sent la résistance d’Odette. Elle s’accroche désespérément aux bras du Prince, jusqu’à ce que l’on sente que le génie maléfique reprend le contrôle. Les battements d’ailes de la danseuse s’accordent alors avec ceux du sorcier, telle une marionnette. En Rothbart, Thomas Docquir, vêtu de sa cape, se montre plus à l’aise.

Après ces émotions, le troisième acte, celui du cygne noir, était plus qu’attendu. Mais place avant aux danses du corps de ballet. Dans les Czardas, on retrouve Aubane Philbert aux côtés de Florimond Lorieux (que l’on aurait bien revu en Rothbart pour cette reprise). Fanny Gorse, Jeremy-Loup Quer, Sabrina Mallem et Yann Chailloux ont quant eux rythmé la danse espagnole. Enfin, la pétillante Alice Catonnet et Simon Valastro se sont lancés dans la napolitaine. Après la danse des fiancées, place au cygne noir. Dorothée Gilbert entre en scèn. Elle est machiavélique et souveraine aux côtés du maléfique Rothbart. Le personnage composé par Thomas Docquir est intéressant, très noir. Son jeu devrait se peaufiner au fil des représentations. De même, il manque encore de présence pour s’imposer dans ce pas de trois (où soulignons-le il est face à deux grandes Étoiles de la compagnie).

Hugo Marchand joue quant à lui parfaitement la carte du Prince complètement envoûté par le cygne noir. Dorothée Gilbert est quant à elle exquise. C’est avec une facilité déconcertante qu’elle enchaîne ses  tours attitude, descendant de pointe uniquement pour ne pas être en retard sur la musique. Les deux Étoiles offrent un véritable moment de virtuosité, aussi bien dans les manèges que dans la célèbre série de fouettés. Mais, le prince se fait avoir. Et c’est totalement désemparé qu’il s’écroule dans les bras de la reine avant de rouler au sol.

Hugo Marchand (Siegfried) et Dorothée Gilbert (Odette) à l'issue du Lac des cygnes du 17 février 2019.

Avec les ensembles des cygnes et la musique de Tchaikovsky, le quatrième acte du Lac est très beau esthétiquement. Dorothée Gilbert et Hugo Marchand lui ont apporté encore plus d’intensité. Le dernier pas de deux est bouleversant. On sent le poids du destin retombant sur leurs épaules. Les lignes des deux danseurs s’accordent à merveille. Le final est simplement poignant et déchirant lorsque Rothbart arrache Odette des bras de Siegfried. Le Prince résiste et tente de s’interposer. L’acte se termine par un corps à corps au terme duquel Rothbart jettera Siegfried à terre. Et bien que l’on connaisse la fin par cœur, cramponné à notre chaise, on a presque envie que Siegfried sauve Odette pour une fois. Et c’est les yeux humides qu’on laissera le rideau se refermer lentement sur le prince à terre.

Pour la deuxième représentation de cette série 2019, le couple d’Étoiles met la barre très haut. Deux superbes prises de rôle. Difficile de comprendre pourquoi ce ne sont pas ces deux danseurs qui sont filmés pour la représentation retransmise en direct au cinéma, tant ils apportent aux rôles principaux. (Au passage, un trio Gilbert/Marchand/Alu aurait fait des étincelles en scène…). En attendant, cette représentation restera gravée dans ma mémoire de balletomane.

 

Hugo Marchand (Siegfried) et Dorothée Gilbert (Odette) à l’issue du Lac des cygnes du 17 février 2019.