« En compagnie de Nijinsky», c’est le thème de la soirée concoctée par la Compagnie des ballets de Monte-Carlo et présentée au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre de la semaine des ballets russes ce samedi 9 février. Une soirée que, pour ma part, j’attendais avec impatience. Au programme : quatre relectures, quatre interprétations des grands ballets emblématiques de la compagnie fondée par Diaghilev au début du XXème siècle. Leur point commun : toutes ces pièces ont toutes été au départ interprétées ou chorégraphiées par Nijinsky, danseur phare des Ballets Russes. Deux créations étaient présentées pour la première fois sur la scène du théâtre parisien : Aimai-je un rêve de Jeroen Verbruggen et Petrouchka de Johan Inger, qui fût mon coup de coeur de la soirée.

Au début du siècle, après leur première tournée parisienne en 1909, la compagnie des Ballets Russes fait de Monaco sa résidence. C’est donc tout naturel que la troupe des ballets de Monte-Carlo continue de s’inspirer, de transmettre l’héritage de la troupe de Diaghilev, qui a littéralement révolutionné les codes de la danse classique. Leurs relectures apportent un nouvel éclairage et montrent une fois de plus la source d’inspiration inépuisable que reste cette compagnie.

Dans son Daphnis et Chloé, créé en 2010, Jean-Christophe Maillot transpose les protagonistes à l’adolescence et révèle leurs premiers émois. Ils sont guidés dans cette quête du plaisir par Lycénion et Dorcon. On aime la fraîcheur et l’énergie de la danseuse Anjara Ballesteros. Solaire, elle irradie en scène aux côtés de son partenaire Simone Tribuna. Leurs pas de deux sont subtilement accordés avec le crayonné du plasticien Ernest Pignon-Ernest. Sur la toile blanche en fond de scène, celle-ci suit le parcours des jeunes amants. Dommage toutefois de ne pouvoir l’apprécier dans son intégralité. Comme il le précise dans le programme, l’intention du chorégraphe est de « réssuciter ces souvenirs d’adolescents qui nous ont pétrifiés autant qu’ils nous ont donné le sentiment d’être des géants». Une belle entrée en matière.

Aimai-je un rêve de Verbruggen reprend le célèbre Prélude à l’après-midi d’un Faune. Ce ballet est l’un des premiers scandales des Ballets Russes en 1913 lorsque Nijinsky est monté sur scène sous les traits de cette créature mythologique. Depuis, cette pièce a inspiré de nombreux chorégraphes. Toujours sur la partition de Debussy, Jeroen Verbruggen se concentre sur le premier vers du poème de Mallarmé. S’ensuit un pas de deux intimiste entre un faune et un individu. Un corps à corps érotique et sculptural sur une scène dépouillée de tout décor (et de la célèbre toile de fond de Bakst). Une pièce qui révèle la beauté des corps et un questionnement sur l’identité sexuelle.

Saluts du spectre de la soirée- Soirée Ballets Russes

Saluts du spectre de la soirée- Soirée Ballets Russes

Dans sa relecture du Spectre de la rose, autre ballet célèbre de Fokine, Marc Goecke bannit les sauts amples du spectre. Celui-ci, vêtu de son pantalon recouvert de roses, apparaît comme plus puissant et plus ancré dans le sol. La jeune fille, endormie dans la version Fokine, est également ici plus forte et détachée du spectre. Pas de décor non plus ici, le chorégraphe a ajouté d’autres spectres qui entourent la jeune fille. Une relecture également intéressante.

Un Petrouchka d’actualité

Le coup de coeur de cette soirée est sans conteste la relecture de Petrouchka de Joan Inger qui plonge la marionnette, le maure et la ballerine dans le monde superficiel de la mode. Les trois personnages principaux deviennent ici des mannequins, animés par le directeur de la maison de couture. Le petit théâtre sur la place de Saint-Pétersbourg est remplacé par une vitrine dans l’atelier de mode. Le succès de cette transposition réside dans les réflexions sur le monde de la mode, l’éloge des corps et la société de consommation. Une fois sa collection terminée, le directeur n’a aucun état d’âme lorsqu’il abandonne Petrouchka dans un tas d’autres mannequins.

 

Le chorégraphe reprend l’argument du ballet originel. Petrouchka tombe amoureux de la ballerine, ce qui n’est pas du goût du Maure. Lors du défilé, on sourit quand Anna Winterthur, son carré et sa tenue de fourrure entrent en scène. Et c’est avec plaisir qu’on réécoute la musique de Stravinsky. Une excellente adaptation de ce ballet intemporel. Preuve que, 110 ans après, les Ballets Russes sont toujours d’actualité.

Aimai-je un rêve