Le compositeur Maurice Ravel est à l’honneur à l’Opéra Bastille pour une soirée composée de Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, créé en 2014, et le mythique et hypnotique Boléro de Béjart, dont l’Opéra de Paris a racheté les droits. Retour sur les représentations des 3 et 4 mars derniers.
Il ne me restait que peu de souvenirs de Daphnis et Chloé dans la version de Benjamin Millepied. Des images floues d’une scénographie originale, de costumes colorés au final et le souvenir d’une très belle partition. Très attendue en 2014, cette création est à l’origine une commande de Brigitte Lefèvre à Benjamin Millepied, qui lui a succédé à la tête du ballet quelques mois plus tard. Lors de l’entrée au répertoire, j’ai plutôt adhéré à la proposition du chorégraphe et je m’étais laissée emporter par cet élan de nouveautés.
Qu’en est-il quatre ans plus tard ? Sans être renversant, le ballet dans son ensemble reste plaisant à voir et léger. La scénographie de Daniel Buren, bien associée à la partition de Ravel, fait toujours son effet, même si la signification de ces blocs géométriques qui apparaissent, montent et descendent sur la scène, reste sans explication. Les mouvements d’ensemble des nymphes et de leur jupon en mousseline épousent également à merveille la musique de Ravel. Les cinquante-cinq minutes ne passent pas pour autant très vite (est-ce dû à l’attention lors des deux journées intenses de concours de promotion?) : certains passages trainent en longueur. La chorégraphie des pas de deux est souvent redondante et moins pertinente. Et cela, malgré la complicité du couple formé par Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio, l’une de mes associations d’étoiles favorite. Ils sont tous les deux très beaux et nous font profiter de leur belle danse. N’oublions pas le duo d’italiens formé par Alessio Carbone et la subtile Lycénion d’Éléonora Abbagnato.
Le point d’orgue de ce ballet est l’entrée du pirate Bryaxis/François Alu, créateur du rôle, qui, toujours plus bondissant, réveille à la fois la chorégraphie et le public avec ses sauts dont lui seul a le secret. Loin de l’effet joli du début de la pièce, sa danse est plus rustre et puissante. Son manège final finit de déclencher les acclamations du public. C’est bien simple, à l’entracte, son nom est sur toutes les lèvres. Quelle chance, le danseur est à nouveau en scène le dimanche avec une autre distribution. Hannah O’Neill (Chloé) dévoile ses belles lignes. Allister Madin est un Dorcon plus dur qu’Alessio Carbone la veille aux côtés de la tentatrice Aurélia Bellet en Lycénion. Dans le corps de ballet, c’est la flamboyante Éléonore Guérineau qui, d’une simple diagonable, une simple sissonne, emballe et attire l’œil du spectateur.
Une heure de Daphnis et Chloé et vingt minutes d’entracte plus tard, place au Boléro de Maurice Béjart. La dernière reprise remonte à 2014, année des adieux à la scène de Nicolas Le Riche. Trois danseurs ont été désignés cette année pour monter sur la table : Amandine Albisson, Marie-Agnès Gillot et Mathias Heymann. Amandine Albisson est peut-être celle que j’attendais le moins sur le papier, la chorégraphie de Béjart étant une véritable mise à nue. Samedi 3 mars, la danseuse étoile n’a pas perdu pied et convainc par son autorité. Elle est présente, lascive et précise. La mélodie interprétée par la danseuse contraste avec la puissance animale qui se dégage des hommes autour de la table. On pourrait encore lui reprocher d’être un peu dans le contrôle, mais l’œil ne se détache pas de la danseuse, et de la tension qui monte crescendo au fil de la partition de Ravel. Mention spéciale également à Audric Bezard et à Vincent Chaillet, solistes du soir. Tous deux sont superbes.
Le Boléro, prélude aux adieux
Le dimanche 4 mars, c’était au tour de Marie-Agnès Gillot de remonter sur la table, à quelques semaines de ses adieux à la scène (prévus le 31 mars prochain dans Orphée et Eurydice). La danseuse étoile surprend au départ par son choix d’interprétation. Avec son aura et sa présence magnétique, on l’imagine renverser la table avec des sauts de grande amplitude. Son choix est finalement très différent. Sa danse est plus intériorisée mais habitée. « Le Boléro se souffre », disait-elle dans une interview. L’ensemble crée un joli contraste entre la force et la puissance bestiale des danseurs autour de la table, et sa danse, ses longs bras, ses jambes qui se déploient et accrochent le regard. La danseuse étoile est très émouvante. On ressent dans cette dernière danse le vécu et l’expérience, une pointe de mélancolie aussi, comme un prélude aux adieux.