Le coup d’envoi de la série d’Onéguine a été donné le samedi 10 février 2018. C’est la quatrième fois que le ballet, inspiré du roman éponyme de Pouchkine, est donné depuis son entrée au répertoire et la première depuis le départ des grandes étoiles tragédiennes qui ont marqué le rôle de leur empreinte (on pense à Isabelle Ciaravola bien évidemment). Mais pas question de rester dans le passé, les distributions affichées pour cette reprise sont très attrayantes.

Première oblige, la représentation du samedi 10 février réunissait les Étoiles Ludmila Pagliero (Tatiana), Mathieu Ganio (Oneguine), Myriam Ould Braham (Olga) et Mathias Heymann (Lenski). Un quatuor cinq étoiles pour servir le ballet qui a fait la renommée du chorégraphe John Cranko. Ludmila Pagliero, superbe de lyrisme, incarne la jeune rêveuse, plongée dans ses romans, qui tombe sous le charme de l’intrigant et ténébreux Onéguine. Mathieu Ganio est parfait dans le rôle du cynique et méprisant dandy, fraîchement débarqué dans la campagne russe. Il méprise, s’amuse et fait profiter de sa belle danse élégante.

Myriam Ould Braham et Mathias Heymann dans les rôles d’Olga et de Lenski

Ce premier acte est également celui d’Olga, la frangine de Tatiana et du poète Lenski, son cher et tendre. Myriam Ould Braham est l’incarnation parfaite d’Olga. On aime son espièglerie, son côté frivole, sa petite moue boudeuse lorsqu’elle n’est pas d’accord et ses regards plein de tendresse adressés à Lenski. Le pas de deux avec ce dernier est empli de douceur et de délicatesse. Un doux poème. La complicité entre les deux danseurs et le fait qu’ils interprètent ces deux rôles depuis l’entrée au répertoire du ballet rend leurs gestes et leurs intentions encore plus vrais.

Le pas de deux de la chambre clôture cet acte, lorsque Tatiana écrit sa lettre de déclaration à Onéguine. Ce pas de deux, où s’enchaînent des portés aussi périlleux les uns que les autres, est sensuel, fiévreux et passionné. Dans son rêve, Tatiana, complètement extatique, s’y éveille à l’amour. Ludmila Pagliero est superbement mise en valeur dans les bras d’un Mathieu Ganio en très grande forme. Les lignes des deux danseurs s’accordent à merveille.

Un quatuor cinq étoiles

Le deuxième acte s’ouvre lors de l’anniversaire de Tatiana et sur cette valse (qui me rappelle les diagonales à la fin du cours de danse). C’est l’acte où tout bascule. D’abord, quand Onéguine, qui ne cache pas son ennui dans cette petite fête de campagne, déchire la lettre d’amour envoyée par Tatiana sous les yeux d’une Ludmila Pagliero ébranlée. Et qu’encore plus cynique et méprisant, voire cruel,  il délaisse sa partie de solitaire pour s’amuser et flirter avec Olga. Un amusement loin d’être au goût de Lenski.

On sent la tension monter progressivement et la colère envahir le personnage. La confrontation entre Mathias Heymann et Mathieu Ganio est un des moments forts de cette soirée. Mathias Heymann n’y va pas de main morte lorsqu’il gifle Oneguine avec ses gants ou lorsqu’il empoigne Olga. La sagesse de Tatiana ne parviendra pas à le raisonner. Il provoque Onéguine en duel. Ce tableau marque également l’entrée du Prince Grémine. Florian Magnenet y apporte une certaine prestance. Il convient très bien au rôle.

Deuxième tableau de ce deuxième acte, le duel est certainement l’un des plus beaux de ce ballet. Décors, musique et costumes y sont en parfaite harmonie. Mathias Heymann montre comment son interprétation a gagné en épaisseur. Sa variation est aussi poignante que mélancolique. Malgré les ultimes interventions des deux sœurs et le geste d’Onéguine pour en arrêter là, Lenski, trop blessé, affrontera le dandy. Ce qui le conduira à sa perte. Le dernier baiser d’Olga à Lenski est touchant et parait tellement vrai. Tandis que le regard que porte Tatiana à Onéguine après le duel est lourd de sens. Ludmila Pagliero y est droite et intangible. Le rapport de force s’inverse. Onéguine réalise qu’il est allé trop loin.

Retrouvailles d’Onéguine et Tatiana à Saint-Pétersbourg

Dix ans et un entracte plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes à Saint-Pétersbourg. Tatiana est désormais mariée au Prince Grémine. Le pas deux qui réunit les deux époux est convenu, tendre et bienveillant. Florian Magnenet est très bien dans ce rôle. Il y gagne en prestance. Mais l’arrivée inopinée d’Onéguine, complètement chamboulé car il vient de réaliser qu’il a laissé filer son unique amour, vient troubler Tatiana.

Le dernier pas de deux est l’apogée du ballet. Ludmila Pagliero y est splendide, complètement tiraillée par un Mathieu Ganio déchirant. Les sentiments de Tatiana pour Onéguine sont toujours là. On sent l’envie et l’hésitation lorsqu’elle se jette corps et âme dans les bras d’Oneguine, l’embrasse avec fougue, résiste et se relève. Les deux étoiles se livrent totalement dans ce dernier pas de deux chargé en émotion. Tatiana parviendra à garder le contrôle et finira par déchirer la lettre sous les yeux d’Onéguine avant que le rideau ne se ferme. Un moment bouleversant et poignant, qui tire les larmes aux yeux.

Merci à ces artistes de nous avoir fait vivre ce drame avec autant d’émotions et de sincérité. C’était beau, mais vraiment beau. Cette distribution est à voir absolument. Les danseurs seront à nouveau en scène les 13, 15, 17, 20 et 21 février.

Saluts d’Onéguine le 10 février 2018