C’est une soirée aux accents américains qui a ouvert la saison 2015-2016 du ballet de l’Opéra de Paris. Un triple bill concocté par Benjamin Millepied, réunissant ses deux grands maîtres inspirants et inspirés, Jérôme Robbins et George Balanchine, ainsi qu’une création du directeur de la danse. Après plus de deux mois sans ballet, les dorures de Garnier commençaient à sérieusement me manquer. Et difficile de résister à l’envie d’enchaîner deux représentations. Retour sur les soirées des vendredi 25 et samedi 26 septembre.
La soirée s’ouvrait sur la création de Benjamin Millepied, sa cinquième pour le ballet de l’Opéra et sa première en tant que directeur de la danse. Le chorégraphe s’était confié lors de la répétition du 13 septembre dernier sur les enjeux à chorégraphier en tant que directeur et sur sa responsabilité envers les artistes. Sur la partition de Nico Muhly (qui signe ici sa cinquième collaboration avec le chorégraphe), Clear, Loud, Bright, Forward réunit seize danseurs du corps de ballet (huit danseurs et huit danseuses).Vêtus de costumes gris irisés donnant aux danseuses des allures de sirènes, le groupe évolue dans une ambiance intimiste, une boîte grise où les éclairages mettent chacun à leur tour les danseurs en lumière, en solo, duo ou petits groupes. Le chorégraphe s’est ici inspiré de leur personnalité pour créer cette pièce qui se base sur les relations humaines.
Du côté de la chorégraphie, les influences des grands maîtres américains sont plus que perceptibles, que ce soient dans les combinaisons de pas, dans les transitions ou les ondulations de bras. Sans oublier, les clins d’œil réguliers à Forsythe ou au britannique Mc Gregor. D’autres enchaînements rappellent d’autres chorégraphies du directeur, Amoveo (2006) ou encore Daphnis et Chloé (2014). Malgré la scénographie intéressante et les effets de lumière, ce sont finalement les pas de deux que je retiendrai. L’esthétisme de la magnétique Marion Barbeau et de son partenaire Yvon Demol, la vivacité d’Eléonore Guérineau et de Marc Moreau ainsi que le lyrisme de Léonore Baulac et d’Hugo Marchand. Il est intéressant de découvrir en scène ce dernier pas de deux, présenté à la répétition publique du 13 septembre. Sans aucun doute, l’un des passages les plus aboutis de la chorégraphie. Difficile de ne pas remarquer la présence de Letizia Galloni, ou encore celle de Laurène Lévy, toutes deux débordantes d’énergie, ou encore celle d’Axel Ibot. Un ballet plaisant, qui traine vite longueur. A voir maintenant s’il résistera dans le temps.
La soirée se poursuivait avec Opus 19/The Dreamer, créé par Jérôme Robbins en 1979 au New-York State Theater. Entrée au répertoire pour ce ballet chorégraphié sur le Concerto pour violon en ré majeur (opus 19) de Prokofiev. Le rideau s’ouvre sur Mathieu Ganio, vêtu d’un académique blanc soulignant ses belles lignes, telle une statue grecque. (Un instant, on songerait presque à Apollon Musagète). Très à son aise dans le style de Robbins, le danseur nous gratifie d’une danse déliée, ample et élégante. Un régal. Il nous entraîne dans les songes de ce rêveur, bien plus tourmenté qu’il n’y paraît. L’association avec Amandine Albisson fonctionne bien. La danseuse se distingue par sa musicalité et ses belles lignes. Le samedi soir, on retrouvait à nouveau la danseuse Etoile (qui remplaçait Laetitia Pujol) aux côtés de Mathias Heymann cette fois-ci. Également superbe, le danseur propose une interprétation différente de son collègue la veille, plus mélancolique, mais tout aussi intéressante. Difficile pour autant de rentrer complètement dans ce Robbins, malgré l’engagement des danseurs. Est-ce du à son esthétisme, ou à l’argument trop abstrait ? Il ne me fait pas aussi forte impression que d’autres pièces emblématiques du chorégraphe. La musique et la chorégraphie nous guident, mais de temps à autre l’incompréhension persiste. Mention spéciale à Sarah Kora Dayanova dans le corps de ballet qui revenait sur scène après une longue période de convalescence.
La soirée se terminait avec un hommage au ballet russe impériale de Marius Petipa avec l’attendu Thème et Variations de Balanchine. Le rideau se lève, sous les applaudissements du public, sur les tutus bleus et dorés qu’arborent les danseuses. Ballet ardu, réputé pour être techniquement le plus difficile, Mr B, comme on l’appelait, n’a pas fait de cadeau aux solistes. Le dernier mouvement de la suite numéro 3 de Tchaikovsky entraîne les danseurs et danseuses dans une succession de variations, dans une chorégraphie des plus complexes faisant tour à tour référence aux grands ballets comme Le Lac des Cygnes et ses quatre petits cygnes ou la Belle au Bois dormant et ses six fées. Le vendredi soir, Laura Hecquet, que je n’avais toujours pas vu en scène depuis sa nomination, montre une belle assurance. Majestueuse, elle irradie et se déjoue des difficultés techniques. A ses côtés, Josua Hoffalt fait aussi un sans faute. Pourtant, le partenariat n’arrive pas à me convaincre.
C’est finalement le couple formé par Valentine Colasante et François Alu que j’ai préféré. Très complices et débordant d’énergie, ils se sont emparés de cette pièce avec panache. Valentine Colasante, très féminine, est bien appliquée, François Alu se déjoue de son côté des difficultés techniques. Il enchaîne les double tours en l’air sans vaciller, avec en bonus des réceptions propres. Bien évidemment, les yeux se sont focalisés sur les doigts et les mains du danseur pendant le pas de deux et les portés, objet de la répétition du 12 septembre. Et les progrès accomplis étaient bien perceptibles. Quelques prouesses techniques plus tard et une polonaise emmenée par un corps de ballet bien discipliné et motivé, le ballet se termine sous des applaudissements bien nourris. Vingt-cinq minutes de classicisme absolu, vingt-cinq minutes de brio. Rien de mieux pour finir cette soirée en apothéose.