Du 8 au 12 juin prochain, 3e étage s’installe au Théâtre André Malraux à Rueil-Malmaison (92) avec Désordres. A l’initiative de ce projet, Samuel Murez, danseur et chorégraphe, qui mène ce groupe composé d’une quinzaine de danseurs de l’Opéra de Paris depuis 2004. Il nous livre ses confidences sur ce spectacle.
Entendre Samuel Murez parler de ses créations et des projets du groupe 3e étage est à la fois captivant et extrêmement intéressant, si bien que l’on pourrait l’écouter pendant des heures. Ce franco-américain est passionné par son art. Ce danseur est à l’aise dans son époque, très à l’écoute et attentif au monde qui l’entoure. Intéressé par la chorégraphie, la mise en scène, il fonde le groupe 3e étage. Samuel Murez présente Désordres, le prochain spectacle du groupe.
Les débuts de 3e étage remontent à 2004, le premier spectacle a lieu à Vieux-Boucau-les-Bains en 2006. Au départ, les représentations étaient organisées sous forme de galas avec une succession de pièces du répertoire, combinant classique et contemporain. Samuel Murez intègre également deux de ses créations à la première représentation. Le succès est au rendez-vous et les tournées s’enchaînent de saison en saison. Dès le début de l’aventure, les spectacles du groupe 3e étage sont loin de passer inaperçus.
Samuel Murez : « À l’époque, l’idée était de concevoir une programmation de répertoire, avec des pièces de chorégraphes que j’admirais dont nous obtenions les droits, des pièces du répertoire classique, et quelques-unes de mes créations. Quand le groupe a commencé à être invité dans de plus grands festivals, je leur annonçais avec beaucoup de fierté que nous avions des pièces de tel ou tel grand chorégraphe, mais ils nous répondaient que ce chorégraphe venait déjà quelques semaines avant ou après nous avec sa compagnie, et qu’ils préféraient que nous venions avec notre propre répertoire. C’était décevant par rapport à l’affection que j’avais pour les pièces de ces chorégraphes, et la quantité d’efforts fournis pour les remonter, mais cela m’a poussé à m’appuyer plus sur mon propre travail chorégraphique. »
Samuel Murez, ayant développé tôt un intérêt et un gout prononcé pour la création, se forme en observant et en échangeant avec les grands chorégraphes qu’il a l’occasion de rencontrer à l’Opéra, ou en dehors.
Samuel Murez : « L’effet d’un moment chorégraphique provient de la combinaison de multiples facteurs. C’est quelque chose qui va varier selon le danseur et son état, la façon dont plusieurs danseurs se combinent, selon les nuances de la musique, la scène, les lumières, le climat psychologique… Je ne crois plus du tout à l’intérêt de demander simplement à chaque danseur d’être dans la reproduction, je cherche plutôt à les amener à créer en spectacle des moments uniques à partir d’une partition chorégraphique qui comporte une certaine part de liberté d’interprétation. A l’Opéra, j’ai eu la chance de voir des grands maîtres à l’œuvre comme Forsythe ou Mats Ek. Je les ai vu adapter en permanence leurs versions lorsqu’ils travaillent avec les danseurs, donner des indications qui permettront à chaque danseur d’atteindre un résultat intéressant à sa manière.
Quand je suis dans une situation où on cherche à reproduire quelque chose à l’identique, en se focalisant uniquement sur la forme, sans se demander si le fond est conservé, si cela fonctionne scéniquement, je suis frustré.
Des chorégraphes que j’admire énormément, comme Roland Petit, Edouard Lock, ou William Forsythe, nous avaient donné des pièces, je ne me sentais absolument pas légitime pour proposer aux danseurs une liberté d’adaptation ou d’interprétation dedans, ce n’était pas du tout ma place. Mais cela m’a aidé à me rendre compte à quelle point cette liberté d’adapter le matériel à chaque danseur, à un moment donné, est importante et précieuse. »
Samuel Murez propose alors ses créations lors de représentations de 3e étage parmi lesquelles on peut citer Me2(2006) ou encore Epiphénomènes(2006). Un succès.
Samuel Murez : « Chorégraphier est pour moi un acte créatif qui comporte plusieurs dimensions: l’argument, le matériel chorégraphique, la structure de l’oeuvre, la musique, le son, les costumes, les lumières, l’utilisation de l’espace, les évolutions des personnages, les indications d’interprétation. Quand on crée, je crois qu’on cherche à capter le moment où la combinaison de tous les facteurs génère un résultat intéressant. Un point auquel j’attache beaucoup d’importance est l’équilibre entre le respect de l’ordre, des règles, et leur transgression, l’accès à une sorte de folie créative. Une pièce qui ne fait que respecter toutes les règles n’est pas intéressante, mais une pièce créative qui n’a aucune structure, aucune forme, aucun règle, ne l’est pas non plus.
Il est essentiel pour moi de prendre le temps quand je crée une pièce, d’avoir une phase de recherche, pendant laquelle les différents éléments se combinent et interagissent. J’aime aussi de pouvoir laisser la pièce mûrir, de la faire évoluer au gré des représentations. Je m’imagine difficilement créer sans cela.»
Samuel Murez développe sa vision, en quelque sorte sa définition, du processus chorégraphique ; sa façon de penser et de concevoir ses pièces, ainsi que sa relation avec les danseurs du groupe.
Samuel Murez : « À l’Opéra, nous avons des danseurs hyper créatifs et talentueux, extrêmement cultivés et polyvalents dans leur expérience chorégraphique. Pour moi, une nouvelle pièce se développe en commun. La créativité est multipliée par toutes les personnes qui prennent par au processus. Je montre souvent un mouvement en restant volontairement un peu flou, où en le décrivant seulement, pour pousser le danseur à le compléter à sa façon. Ensuite, avec les affinités du groupe, les idées fusent. Parfois, une de nos pièces peut mûrir pendant 2-3 ans. Il arrive aussi qu’un nouveau danseur commence à danseur un rôle, se l’approprie et propose quelque chose de différent qui est intéressant, qui pousse ensuite les autres à modifier leur approche. Pour avoir observé les grand maîtres, j’ai souvent eu l’impression qu’ils s’appuient sur les individualités et les talents qui les entourent. Si j’ai accepté avec plaisir quelques commandes de pièces conçues pour la caméra, je ne l’ai jamais fait jusqu’à maintenant pour des pièces destinées à un plateau, je ne pense pas que pourrais faire un travail intéressant sans partir de mes propres inspirations, sans être entouré des mes collaborateurs habituels, sans le processus créatif que nous avons développé. Arriver dans une compagnie, avoir quelques semaines pour travailler avec des danseurs que je ne connais pas et que je ne pourrais pas choisir, ne pas pouvoir travailler avec mes compositeurs, mes éclairagistes, me serait certainement très difficile. »
Une formule qui marche. Depuis le début, 3e étage a fait du chemin et aujourd’hui le groupe présente son premier spectacle auto-produit. Un nouveau tournant pour le groupe.
Samuel Murez : « Cette série de spectacles à Rueil-Malmaison, c’est l’essai d’un nouveau mode de production. C’est la première fois que l’on prend tout le processus en main : la conception, la programmation, les aspects techniques, les dates, le prix des places, la campagne de communication, les invitations, le programme… Je cherche à travailler sur l’expérience du spectacle au sens large.»
La particularité de ce programme : pas de rupture entre les différentes pièces, mais une succession de tableaux avec un fil conducteur et des personnages qui reviennent ou disparaissent au fil de la représentation. Le spectacle prend une allure « théâtrale ».
Samuel Murez : « Je suis grand amateur de séries américaines comme « the Wire ». Je suis fasciné par les personnages qui évoluent profondément d’épisode en épisode, de saison en saison. On retrouve ce même schéma dans les grands romans. Je pense notamment à Zola ou à Proust. Ces personnages que l’on retrouve au fil du récit, et qui reviennent dans les livres suivants. Ce sont des personnages auxquels on s’attache. Je souhaite qu’il en soit de même dans tous les spectacles de 3e étage, que tous les personnages puissent se croiser dans un même univers, qu’il y ait des arcs narratifs longs. Depuis quelques années, le public retrouve certains de nos personnages dans les spectacles, je souhaite que ce processus continue et s’amplifie. »
Cette forme de spectacle a déjà été expérimentée lors d’une tournée aux Etats-Unis en 2011.
Samuel Murez : « Nous étions invités au Jacob’s Pillow Dance Festival. Il s’agit d’un festival qui a 80 ans, qui présente plus de 50 compagnies invitées par an. Nous savions que l’œil et la critique américaine ne sont pas les mêmes que l’œil et la critique française. C’était assez effrayant au départ. Nous avons été invités une semaine. C’est la première fois que nous avons complètement enlevé les saluts entre les pièces, que nous utilisions autant de transitions, que les pièces étaient vraiment liées. Nous jouions à guichets fermés, les danseurs ont reçu une standing ovation à chaque représentation, cela a été un moment tournant pour 3e étage. »
L’essai en France aura lieu à Rueil-Malmaison à partir du 8 juin prochain. Entourés de danseurs « talentueux et créatifs », Samuel Murez concocte un spectacle dans lequel reviendront des personnages récurrents, mais aussi de nouveaux…
Samuel Murez : « La thématique du spectacle « Désordres » est presque biographique pour beaucoup d’entre nous. Elle questionne le moule dans lequel nous nous sommes efforcés de rentrer à l’École de Danse, s’interroge sur comment exister artistiquement dans notre tradition, mais sans nier la singularité de chacun, ni ignorer le monde d’aujourd’hui. Nous dansons autour de ces tension. Les danseurs avec lesquels je travaille ont tous une part d’eux qui dépasse du cadre. Ils ont une folie créatrice et j’adore la nourrir, la mettre en avant. C’est un exercice jouissif, d’autant plus dans le contexte de nos spectacles à Rueil, pour lesquels nous aurons une très grande part de contrôle sur le projet.»
Cet été, 3e étage s’envolera à nouveau pour les Etats-Unis. Le groupe est ré-invité au Festival Jacob’s Pillow Dance Festival. «Le premier groupe de danseurs de l’Opéra de Paris à se produire au Jacob’s Pillow était constitué de Claude Bessy, Cyril Atanssoff, Atillio Labis,, Claire Motte, et Christiane Vlassi, ainsi que de Juan Giuliano du Ballet du marquis de Cuevas. C’était en 1963. Le deuxième était 3e étage, en 2011. La directrice, Ella Baff, vient de m’écrire que nos représentations de cet été étaient déjà complètes, et qu’elle propose de rajouter un spectacle pour satisfaire la demande. Savoir que les spectateurs là-bas ont hâte de voir nos nouvelles créations me touche beaucoup.», précise Samuel Murez.
Désordres de 3e étage, c’est du 8 au 12 juin 2013 au Théâtre André Malraux, Rueil-Malmaison à 20h45. Le 9 juin, à 17h.
Renseignements : http://www.tam.fr/Fiche_Spectacle.asp?Spectacle=556&Genre=19
A découvrir (ou à revoir très vite) : la bande-annonce de la série de spectacle. Une bande annonce digne d’une œuvre cinématographique, à la fois intrigante et captivante. Un bel avant-goût :
Rendez vous dès le 8 juin prochain!
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