Après un rendez-vous manqué fin janvier, il était temps de retrouver Giselle (et de réécrire un peu sur ce blog). Après quatre ans d’absence, le ballet romantique, dont le livret est co-signé par Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, faisait son retour sur la scène du Palais Garnier pour une quinzaine de jours. Parmi les quatre distributions à l’affiche, j’ai eu l’occasion d’en découvrir trois en fin de série. Trois représentations différentes, avec pour chacune leur lot d’émotions.
Le 11 février marquait la dernière sur la scène parisienne de Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio. En 2016, ces deux danseurs m’avaient laissé un souvenir impérissable. Quatre ans plus tard, leur Giselle et leur Albrecht ont à nouveau gagné en profondeur. Dorothée Gilbert est une Giselle spontanée et pétillante. On entendrait presque sa voix chantante lorsqu’elle invite Albrecht à se joindre à elle pour la valse. Sa scène de la folie est intense, poignante et bouleversante. Du premier rang de la loge de l’impératrice, on voit clairement ses yeux rougis au bord des larmes et son désarroi. Au deuxième acte, le visage de la danseuse devenue Willi se fige et la joyeuse Giselle se métamorphose en cet être immatériel et évanescent dont Dorothée Gilbert a le secret pour faire illusion (et que dire de ses piétinés, de ses ports de bras,…). Et si la danseuse Etoile est une grande Giselle, Mathieu Ganio – archétype du prince romantique – incarne également un magnifique Albrecht, complètement meurtri au deuxième acte. Son entrée est très émouvante et touchante, avec ce sanglot réprimé dans la cape. L’un des bonheurs de cette distribution est la complicité entre les deux partenaires, aussi bien sur le plan théâtral que musical. Giselle et Albrecht semblent à l’unisson, parfaitement accordés. Ce qui confère encore plus de magie à ce deuxième acte et créé ces moments de suspension, aussi bien dans le premier pas de deux que dans l’adage ou encore dans la coda, lorsqu’Albrecht – à bout de force – ne cesse de supplier Myrtha de l’épargner dans une dernière diagonale (qui vient se substituer à cette série d’entrechats sans enlever l’émotion de ce final).
L’alchimie était également au rendez-vous le 14 février avec les Étoiles Ludmila Pagliero et Mathias Heymann, dont cette série marque le retour en scène après un an et demi d’absence. Ce partenariat fonctionne bien (rappelons-nous leur Don Quichotte de 2017), et dans le registre romantique, ils savent aussi faire des étincelles. J’avais raté la Giselle de l’Etoile argentine lors de la précédente reprise et il me tardait de la découvrir. Au premier acte, Ludmila Pagliero est espiègle, et attachante, sous le charme d’Albrecht. Après une diagonale de ballonnés très réussis, sa scène de la folie est également très forte, dans un autre registre que Dorothée Gilbert mais tout aussi prenante. Le deuxième acte est un vrai régal : Ludmila Pagliero allie un délicat travail de bras (la douceur de son geste lorsqu’elle tend une marguerite à Albrecht) et de haut du buste pour incarner cet être éthéré et évanescent. Le tout agrémenté d’équilibres arabesques, comme pour suspendre le temps. À ses côtés, Mathias Heymann compose lui aussi un bel Albrecht. Son entrée en scène au deuxième acte, lorsqu’il se met à genoux sur la tombe de Giselle, fait également son effet. Et sa variation rappelle combien le danseur nous a manqué. Les pas de deux du second acte – très esthétiques – sont à nouveau de beaux moments en suspension, que ce soit lors des portés « planches », lors du premier pas de deux ou lors de l’adage, au cours desquels la Giselle de Lumdila Pagliero semble flotter dans les airs. L’émotion est palpable jusqu’aux derniers rangs de l’amphithéâtre. Le ballet se termine après une série prolongée d’entrechats, vivement applaudie par la salle. Un autre partenariat de haute volée pour une soirée hors du temps.
Cette série était également l’occasion de découvrir de nouvelles prises de rôles. La représentation du 15 février en matinée a été l’occasion de découvrir l’Albrecht d’Hugo Marchand aux côtés d’Amandine Albisson. Le couple a tout donné pour leur dernière représentation de cette série. Avec sa belle danse et sa prestance, Hugo Marchand était attendu dans ce rôle clef du répertoire romantique. Lui aussi offre de très beaux moments, aussi bien sur le plan de l’interprétation que dans ses variations (élévations des sauts, virtuose série d’entrechats). Et nul doute qu’il sera l’un des futurs grands Albrecht de la Maison. Amandine Albisson a quant à elle fait évoluer sa Giselle : jeune fille naïve au premier acte, puis complètement perdue et dépossédée d’elle-même dans la scène de la folie. Sa Giselle-Willi est également très travaillée, proposant un joli travail du haut du corps, par instants plus terrienne que d’autres Giselle.
Sae Eun Park faisait ses premiers en Myrtha, la reine des Willis. Et quelle prise de rôle! Bondissante, légère et aérienne, telle un spectre arrivant sur scène, la danseuse était magnifique, apportant encore plus de magie à la distribution réunissant Ludmila Pagliero et Mathias Heymann. Autre somptueuse Myrtha, la souveraine Hannah O’Neill qui avait déjà fait forte impression à la dernière reprise et dont l’entrée en scène est toujours un moment en suspension. Le 11 février, Valentine Colasante a campé une reine des Willis plus terrienne, mais toujours impitoyable face à l’implorant Hilarion d’Audric Bezard.
Giselle ne serait rien sans les Willis, à l’unisson lors de ces représentations. Le regard s’attarde sur Eléonore Guérineau (l’une des deux Willis le 11 février) et sur ses belles arabesques qui semblent s’étirer.. (on aurait adoré la (re)voir en Giselle). Le 15 février, la danseuse a livré un incroyable pas de deux des vendangeurs aux côtés du brillant et bondissant Francesco Mura, que l’on retrouvait le 11 février aux côtés de la pétillante Marine Ganio. Bianca Scudamore et Thomas Docquir étaient quant à eux à l’honneur le 14 février.
Quelques absents toutefois la Myrtha d’Héloïse Bourdon, pourtant si remarquée il y a quatre ans, revoir la Giselle d’Eleonore Guérineau et pourquoi pas une distribution de « jeunes talents , même si Giselle reste un ballet très prisé par les Étoiles… Même si la série – amputée de quelques représentations par – était très concentrée, ces représentations de Giselle auront apporté un peu de magie (dans un contexte encore tourmenté).
L’Albrecht de Mathieu Ganio et la vibrante Giselle de Dorothee Gilbert, ainsi que les émouvants et poétiques Ludmila Pagliero et Mathias Heymann accompagnés par Sae Eun Park sont mes coups de coeur pour cette série 2020.
En attendant, place à la série de Balanchine à Bastille, avec dans le programme Sérénade, qui rend hommage au ballet blanc…