Une soirée dédiée au spécialiste de la déconstruction du mouvement, des déséquilibres et des enchaînements virtuoses, William Forsythe, clôture la saison du ballet de l’Opéra de Paris. Pour l’occasion, deux de ses ballets sont présentés, dont une entrée au répertoire Of any if and, ainsi qu’une nouvelle création sur la musique électro de James Blake.
Créé en 1995 pour le ballet de Francfort, Of any if and est un pas de deux intense qui exige une grande technicité. Il y a quelque chose de très fort dans cette pièce dans la relation entre les deux interprètes. Léonore Baulac est superbe. Elle impressionne par son aisance aux côtés d’Adrien Couvez, qui se dévoile également dans ce répertoire. Pendant ces vingt minutes, le regard suit avec attention les lignes des danseurs. Il y a une véritable continuité du mouvement, une recherche sur les corps, caractéristique clé du travail de William Forsythe. Tout semble continu, puis s’arrête brusquement, avant que le mouvement ne surgisse d’une autre partie du corps d’un des deux interprètes. Ce ballet est sans doute le moins accessible de la soirée pour le public, l’ambiance étant plus sombre, plus tourmentée. De même, la présence des deux personnes assises devant leurs pupitres en fond de scène intrigue. Elles dictent des phrases, des mots, de façon presque inaudible, au rythme de la partition de Willems. Ces mêmes phrases tombent de temps en temps des cintres. Que signifient-elles? Pas grand chose a priori.
Dans Approximate Sonata, on se laisse porter par les mouvements des danseurs, ces lignes géométriques, presque hypnotiques, qu’ils dessinent. C’est la première fois que je voyais ce ballet, entré au répertoire de la compagnie en 2006. L’occasion d’admirer les lignes d’Alice Renavand, superbe dans ce répertoire, aux côtés d’Adrien Couvez. Alors que les lumières sont encore allumées, les deux danseurs arrivent sur le devant de la scène et esquissent quelques pas sur la musique de Thom Willems, donnant l’impression d’être en pleine séance de travail. Les combinaisons s’enchaînent, précises, fluides et virtuoses. Eléonora Abbagnato et Alessio Carbone, peu vu en scène cette saison, sont également à l’unisson. Sans surprise, les deux danseurs s’approprient sans difficulté le style du chorégraphe. Mention spéciale à Hannah O’Neill, impressionnante par sa maîtrise technique (et quelles lignes!), et à Fabien Réveillon, qui de son côté se révèle dans ce répertoire. Un danseur intéressant qui aura fait une belle saison. Amandine Albisson (beaucoup mieux mise en valeur dans son justaucorps noir que dans ce tutu rose bonbon de K. Lagerfeld sur le programme Peck/Balanchine) accompagne Audric Bezard, lui aussi superbe dans ce répertoire. Un ballet captivant qui mériterait d’être visionné à nouveau, tant il y a de détails à voir.
La soirée se termine par la nouvelle création de William Forsythe pour le ballet. Après le chef d’œuvre In the middle… en 1987, cette nouvelle pièce était annoncée comme l’événement de cette fin de saison. Pour Blake Works I, le chorégraphe abandonne son compositeur fétiche Thom Willems pour la musique aux sonorités électro de James Blake. Si certains s’attendent à un choc chorégraphique similaire à In the middle..., mais s’ils se laissent porter par la musique, la chorégraphie et la bonne humeur contagieuse des interprètes, ils seront ravis. Avec Blake Works I, Garnier prend des allures de dancefloor. Le rideau s’ouvre sur les silhouettes longilignes de Ludmila Pagliero, Léonore Baulac et Roxane Stojanov pour vingt-cinq minutes d’hommage à la danse. Le chorégraphe multiplie les références sur les sept morceaux de l’album « Color in anything », avec quelques clins d’œil à Balanchine et à l’école française. Il y a ce duo très fort entre François Alu et Léonore Baulac, ce solo virtuose d’Hugo Marchand ou encore cette battle de petite batterie que Ludmila Pagliero gagne haut la main. Le pas de deux entre Germain Louvet et Ludmila Pagliero en toute fin de ballet est plus doux et tendre. William Forsythe sait décidément flairer les talents. On retrouve sur cette création (entre autres) Paul Marque, déjà remarqué dans les Variations Goldberg de Robbins plus tôt dans la saison, Pablo Legasa, titularisé sur le pas de deux des vendangeurs de Giselle, ou encore Jérémy Loup-Quer, Marion Gautier de Charnacé, Caroline Osmont, Sylvia Saint-Martin… Ce groupe de danseurs se fait plaisir et communique cette folle énergie au public. De quoi quitter Garnier le sourire aux lèvres pour mieux revenir la saison prochaine !
La soirée Forsythe est donnée jusqu’au 16 juillet. Pour ceux qui la manqueront, sachez que la création Blake Works I fait partie du programme mixte Seghal, Peck, Pite, Forsythe fin septembre.
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