Il y a des soirs où la magie du spectacle opère tellement que vous en ressortez transcendés. C’est ce qui s’est passé ce mardi 31 mai sur la scène de Garnier. Le ballet donnait sa troisième représentation de Giselle (quatrième en comptant l’avant-première). Mathieu Ganio, privé de première samedi dernier, et Dorothée Gilbert, remplaçant Myriam Ould-Braham toujours souffrante, interprétaient les rôle-titres. Un partenariat de dernière minute avec un Albrecht et une Giselle de premier choix pour le plus beau des ballets romantiques.
Dès son entrée en scène, Dorothée Gilbert est une Giselle pétillante, une jeune fille vive et légère, tendrement amoureuse de son Albrecht. On se prend au jeu de sa Giselle et on la regarde avec un mélange d’amusement et d’attendrissement compter les pétales de sa marguerite, puis valser avec ses amies de retour des vendanges. Sa variation et sa diagonale de ballonnés sur pointes sont impeccablement maîtrisées. À ses côtés, Mathieu Ganio est un Albrecht d’une grande classe. On sent au départ le détachement de son personnage par rapport à Giselle – une simple amourette de passage – jusqu’à ce qu’il réalise ce qu’il a fait, lorsque Giselle sombre dans la folie et qu’il se prend le visage dans ses mains. Réalise-t-il qu’il l’aime vraiment ? Ensemble, les deux danseurs sont touchants et attendrissants. Dommage que ces deux là ne soient pas associés plus souvent! La scène de la folie est prenante et bouleversante. Dorothée Gilbert y est saisissante. Ses yeux de jeune fille perdent subitement leur innocence, son visage change d’expression et l’on suit Giselle sombrer dans sa folie, revivre les passages avec Albrecht jusqu’à ce qu’elle perde totalement la raison et en meurt. Encore une fois, le travail de Dorothée Gilbert sur le plan de l’interprétation est à louer. Le pas de deux des vendangeurs est l’occasion de passer à nouveau un bon moment avec le bondissant François Alu, aussi impressionnant près de la scène comme de loin, et la douce Charline Giezendanner, belle ballerine solide techniquement. Les deux forment un joli couple qui a régalé le public.
Le deuxième acte est un enchantement. Dorothée Gilbert semble s’échapper tout droit d’une gravure du XIXème siècle avec sa silhouette éthérée, son buste et son cou délicatement penchés en avant jusqu’à ses bras évanescents. Tel un spectre, elle semble immatérielle lorsqu’elle s’élève sur ses pointes, et quels équilibres! Dorothée Gilbert n’interprète pas, elle est Giselle. Bel Albrecht, Mathieu Ganio se distingue par sa prestance et sa danse noble et élégante. Quelle prestance lorsqu’il arrive avec sa cape noire pour se recueillir sur la tombe de Giselle! Les pas de deux sont d’une infinie délicatesse, Dorothée Gilbert semblant s’évaporer dans les bras de son partenaire. L’adage est un moment de grâce et d’émotion. Si la pointe de Dorothée Gilbert ne touchait pas le sol, on pourrait croire qu’elle flotte dans les airs, en apesanteur. Mais la Myrtha de Valentine Colasante ne s’y laissera pas prendre et condamnera Albrecht à danser jusqu’à l’épuisement. Après une superbe variation, le princier Mathieu Ganio nous offre une très belle série d’entrechats-six. Mais l’aube se lèvera, et Albrecht échappera à son funeste destin. Giselle retourne dans sa tombe, laissant Mathieu Ganio seul sur scène, une marguerite à la main.
Une magnifique représentation, portée par un très beau corps de ballet. Et un plaisir de voir cette représentation de très près, pour ne rien louper du spectacle, voir tous les détails de la pantomime avec en supplément quelques instants volés en coulisses… En tout cas, une chose est sûre : Dorothée Gilbert est à l’heure actuelle l’Étoile de l’Opéra.